« Renforcer le compagnonnage entre l'artisanat et Chartres »
Économie et emploi , Sur le territoire
-Publié le 13/09/2024
Économie et emploi
Dans quelques jours, le nouveau parc des expositions de Chartres métropole, baptisé l'Illiade, accueillera pour sa première grande manifestation L'Artisanat C'Chartres, le salon national de l'artisanat. Pour renforcer encore les liens historiques, le compagnonnage vivant entre l'Agglomération chartraine et l'artisanat. Jean-Pierre Gorges vous explique pourquoi.
Votre Agglo : Pourquoi « L'Artisanat C'Chartres » ?
Jean-Pierre Gorges : Il y a plusieurs niveaux de réponses. Le premier, et à mes yeux il est décisif, tient à la longue tradition artisanale de Chartres. L'artisanat et Chartres, c'est pour ainsi dire un pléonasme. Une ville, et celle-ci a deux mille ans, ne naît pas par hasard : à l'époque, lointaine et pas si lointaine, où l'immense majorité de la population active vivait des travaux des champs, dans des fermes isolées, des villages et des hameaux, la ville naît du besoin de tous ces gens d'échanger leurs productions et de trouver des services qui doivent être concentrés pour être efficaces, utiles à tous : un marché surgit et des artisans s'installent pour répondre à ces demandes : ils fabriquent et réparent des outils, abattent et vendent des animaux de boucherie, des grains, des légumes, construisent…
C'est là aussi où l'on se rassemble, d'abord souvent pour des motifs religieux, c'est là encore où l'on franchit les accidents naturels du paysage : un gué sur la rivière, auquel succède un pont… Regardez aujourd'hui la ville historique de Chartres : elle répond à toutes ces questions anciennes comme à celles d'aujourd'hui.
« Le plus beau témoignage de la grandeur de l'artisanat chartrain n'est autre que notre magnifique cathédrale, la première au monde à avoir été classée au patrimoine de l'UNESCO. Ce monument est d'abord l'œuvre d'artisans. »
Et le plus beau témoignage de la grandeur de l'artisanat chartrain n'est autre que notre magnifique cathédrale, la première au monde à avoir été classée au Patrimoine de l'UNESCO. Ce monument est d'abord l'œuvre d'artisans.
Étant un élu, j'ajouterai que la ville est aussi le lieu où naît la politique au vrai sens du terme, celui de l'intérêt général organisé. Ce n'est pas un hasard si les premières libertés à être revendiquées et reconnues en France furent les libertés communales, dès le Moyen Âge. Bref, Chartres a été construite par des artisans. Il est capital de savoir d'où nous venons, car c'est ce qui a fait notre richesse et il faut cultiver nos points forts, surtout quand ils ne sont pas délocalisables.
VA : Certes, mais la société a évolué…
JPG : À l'évidence, mais bien des valeurs et des qualités de l'artisanat peuvent et doivent encore nous inspirer : la liberté d'entreprendre et donc de prendre en main sa vie, le souci de la qualité et donc celui de la transmission et de la formation, le respect de l'autorité quand elle s'appuie sur la légitimité de la compétence, etc. Regardez par exemple la considération qui entoure le Concours des Meilleurs Ouvriers de France (MOF) : compétition, classement, hiérarchie du mérite, je n'ai pas besoin de commenter davantage. Regardez aussi la promotion qui récompense les meilleurs apprentis dans chacune des spécialités de l'artisanat et voyez comment ces jeunes se mettent eux-mêmes le pied à l'étrier et ambitionnent presque tous de créer leur propre affaire…
« Bien des valeurs et des qualités de l'artisanat peuvent et doivent encore nous inspirer : liberté d'entreprendre et donc de prendre en main sa vie, souci de la qualité, transmission et formation, respect de l'autorité… »
VA : Et pourtant souvent, ces métiers peinent à recruter…
JPG : C'est l'un des vrais scandales de notre société. Nous manquons de soudeurs, d'électriciens, de maçons, de boulangers, de bouchers, de chaudronniers, de plombiers, etc. Et les professionnels de ces métiers qualifiés gagnent souvent mieux leur vie que bien des diplômés d'universités. Au point que les journaux se font régulièrement l'écho de licenciés en Histoire ou en Sociologie qui changent de direction, se tournent vers ces métiers où ils peuvent trouver de vrais emplois et davantage de liberté. Des savoir-faire bien sûr, mais aussi des savoir-être ! C'est pourquoi cette œuvre de recrutement, de valorisation et de transmission des métiers tiendra une place majeure dans l'évènement L'Artisanat C'Chartres. Nos visiteurs et leurs enfants verront à l'œuvre pendant quatre jours un millier d'apprentis à côté de leurs maîtres. Ce dernier mot prend là tout son sens. Il vient de très loin, mais les maîtres-verriers par exemple, et notamment à Chartres, l'utilisent toujours.
« Recrutement, valorisation et transmission des métiers tiendront une place majeure dans l'évènement L'Artisanat C'Chartres. »
VA : Vous parlez de l'évènement. Mais pourquoi un nouvel organisateur ?
JPG : L'idée des Artisanales, comme on disait pendant des décennies, est née dans la tête d'un Chartrain, qui fut d'ailleurs un élu de notre municipalité. Pendant des décennies sous l'égide la Chambre des Métiers d'Eure-et-Loir, les Artisanales devinrent le premier salon national des artisans. L'on parlait alors de la « première entreprise de France ». Cette ambition demeure malgré les tentatives de certains de délocaliser cette manifestation dans la région parisienne (une maladie française…) ou dans telle ou telle métropole régionale. Mais les Artisanales devaient rester à Chartres, pour toutes les raisons dont j'ai déjà parlé. Et aussi parce que la capitale de l'artisanat ne peut être une grande métropole, où toutes les dérives de l'ubérisation sont possibles, sinon certaines. L'artisanat est par nature profondément humain, et cette dimension ne peut trouver meilleur lieu d'accueil que dans une ville moyenne qui, même si elle se développe rapidement, tient à conserver des dimensions humaines, j'aillais dire vivables.
« À l'époque où tout le monde s'interroge sur la mondialisation et ses excès, la meilleure réponse, c'est l'enracinement, la valorisation de nos propres atouts, non pas l'autarcie mais une forme d'autonomie, d'indépendance… d'esprit. »
À l'époque où tout le monde s'interroge sur la mondialisation et ses excès, la meilleure réponse, c'est l'enracinement, la valorisation de nos propres atouts, non pas l'autarcie mais une forme d'autonomie, d'indépendance… d'esprit. C'est notamment pourquoi j'ai refusé l'implantation dans l'Agglomération des gigantesques entrepôts de ces multinationales logistiques et commerciales, qui occupent trop de surfaces utiles à d'autres activités, sous prétexte de créer des emplois souvent précaires et sans qualification durable. Par ailleurs, entretemps, l'organisation des Chambres des Métiers en France a changé. Jadis départementalisée, elle a été régionalisée. Ici, la structure départementale n'a pas souhaité conserver la maîtrise de l'organisation des Artisanales et, pour les raisons que vous pouvez facilement imaginer, Chartres métropole a donc logiquement pris le relais, à travers sa Société Publique Locale (SPL) C'Chartres Évènements.
VA : Un nouveau lieu s'imposait également ?
JPG : Regardez les photos des dernières éditions des Artisanales. Vous voyez des chapiteaux et des pavillons agglutinés sans ordre précis autour d'un ChartrExpo manifestement trop petit et dépassé. Ajoutez-y le stationnement lui aussi devenu difficile, voire impossible sans l'usage du parking de la grande surface voisine. Cela ne pouvait pas durer. D'autant que depuis vingt ans, l'Agglomération s'est élargie, comme son économie s'est développée. Regardez les Jardins d'entreprises, trop petits quand ils étaient vides ou presque il y vingt-cinq ans. Alors, comme l'Odyssée a remplacé les piscines locales désuètes, comme le Colisée permet d'abriter des manifestations sportives et culturelles que nous ne pouvions accueillir à ChartrExpo, l'Illiade va permettre d'organiser ici des salons et des manifestations d'aujourd'hui. L'Artisanat C'Chartres en étant légitimement la première.
VA : Sa taille n'est pas la seule raison d'être de ce bâtiment à l'allure particulière ?
JPG : Aujourd'hui, un parc d'exposition n'est rien d'autre qu'un parallélépipède de fer et de béton. Le mérite de Rudi Ricciotti est d'avoir traité cette figure imposée comme un artiste. L'homme est un ingénieur autant qu'un architecte. Et lors du concours que nous avions organisé, c'est le seul qui nous ait proposé un projet qui était autre chose qu'une boîte. Il a imaginé ce drapé en béton, décarboné s'il vous plaît, qui donne son allure unique au bâtiment à vue directe sur la cathédrale, comme l'Odyssée et le Colisée avant lui. Tous les équipements importants que nous avons édifiés depuis vingt-cinq ans ont été conçus pour pouvoir « dialoguer » avec elle. Cette nouvelle « place forte » est aussi notre manière de prolonger, et j'espère de renforcer, le long compagnonnage entre l'artisanat et l'Agglomération chartraine.