« La bonne stratégie, c’est celle qui marche. Parce que tout se tient. »
Territoire
-Publié le 21/03/2025
Économie et emploi

La publication le mois dernier du numéro spécial de Votre Agglo, consacré aux actions menées depuis 25 ans par Chartres métropole, a suscité nombre de réactions. Jean-Pierre Gorges l'a constaté au quotidien dans ses rencontres avec les habitants comme avec les élus de l'Agglo. Retour d'expérience.
Votre Agglo : Comment vivez-vous la relation de proximité avec les habitants de l'Agglomération ?
Jean-Pierre Gorges : Au quotidien. Tous les élus au Conseil communautaire tirent leur légitimité de leur élection municipale préalable. C'est également vrai de notre Comité des Maires, qui les rassemble tous. Or qui mieux qu'un maire connaît les habitants de sa commune ? Maire de Chartres, j'ai mille occasions de rencontrer les gens : au hasard dans la rue, sur les marchés, dans les réunions de quartiers que nous organisons régulièrement, parmi le public des stades et des autres manifestations... Pour les habitants des autres communes, c'est également vrai. Et puis, allez au Colisée : vous rencontrerez toute l'agglo, et même au-delà. Allez aux vœux économiques de Chartres métropole, et vous croiserez tous les acteurs économiques, des plus petits aux plus grands. Allez dans les communes à l'invitation de leurs maires, et vous écoutez, discutez avec les conseillers municipaux, et en particulier ceux qui ne sont pas également conseillers communautaires. Ils vous disent leurs besoins spécifiques, et vous expriment leurs priorités. Directement.
Hors Chartres, mon rôle n'est évidemment pas d'interférer dans la relation directe entre les élus de chaque commune et les citoyens de la même commune. Je crois profondément à notre modèle, fait de villages, de bourgscentres et de communes urbaines. Cet équilibre vient de l'Histoire. Territorial, il est également sociologique. Ce n'est pas pour rien si nous avons adopté dès 2006 notre Schéma de Cohérence Territoriale (SCoT). Les mots ont un sens. Chaque commune et chaque maire ont leur légitimité. Égale.
VA : Le modèle de l'organisation de Chartres métropole fait-il bien écho à ce modèle territorial ?
JPG : Il faut être cohérent. Dans le cas contraire, les habitants et leurs élus sont les premiers à vous le faire remarquer. Sans délais et sans phrases. Si vous lisez le quotidien local, presque tous les jours de ce début d'année, c'est-à-dire à la période des vœux, et surtout maintenant au moment du vote des budgets communaux 2025, vous voyez les réalités que les communes vivent : ressources financières en baisse, investissements réduits ou freinés, etc.
Les mécanismes de la solidarité financière intercommunale sont là pour compenser autant que faire se peut. Encore faut-il les avoir mis en place avant, et selon des critères justes et transparents, votés en commun. Car la Loi ne nous y oblige pas. Mais quelle serait la légitimité d'une intercommunalité prospère, à côté de communes dans le rouge, à commencer par les plus petites, celles qui n'ont pas de marges de manœuvre ? Notre territoire est un tout, où tout doit se tenir. Ensemble.
« Je crois profondément à notre modèle, fait de villages, de bourgscentres et de communes urbaines. »
Mais pour pouvoir agir efficacement, il faut avoir anticipé, mis en place une organisation performante de vos services et des mécanismes de consultation et de solidarité entre les élus de ce même territoire. L'une des choses que je n'aime pas dans la vie politique actuelle, c'est qu'elle ne se préoccupe pas d'agir réellement et donc dans la cohérence et la durée. Rattrapée par la réalité, faute d'avoir anticipé, elle ne sait que réagir au coup par coup, sans vision à terme. Mon expérience professionnelle privée m'a appris qu'un plan même moyen mais mené jusqu'au bout de sa logique finit toujours par donner de meilleurs résultats que des coups sans cohérence. Les études d'opinion montrent que le premier reproche que les Français font aux politiques, c'est leur impuissance, leur inefficacité. Ici, j'ai l'impression que notre modèle fonctionne plutôt bien…
VA : Vous ne cessez pourtant de le faire évoluer, notamment à travers votre écosystème d'Entreprises Publiques Locales (EPL) ?
JPG : Avant, jusqu'au début des années 2010, nos services publics étaient conduits au quotidien par de très grandes entreprises nationales et internationales. Elles m'invitaient à discuter dans leurs sièges parisiens ou franciliens. Impressionnants. Et en découvrant leurs locaux, je commençais toujours par leur dire : « Je vois où passe notre argent » … Et puis un nouveau règlement, dérivé d'une directive européenne, nous a permis de faire nous-mêmes… Les gens peuvent voir maintenant ce que nous faisons de leur argent. En le gardant le plus souvent ici.
« C'est avant de prendre ou de mettre en œuvre une décision qu'il faut anticiper ses conséquences. »
VA : Certains vous regardent comme un élu qui prend une décision à un endroit du territoire intercommunal et en étudie ensuite les conséquences à l'autre bout du même territoire…
JPG : C'est exactement l'inverse. Si je faisais ce que vous venez de dire, j'agirais la moitié du temps à contresens. C'est avant de prendre ou de mettre en œuvre la décision dont vous parlez à tel ou tel endroit, qu'il faut anticiper ses conséquences ailleurs. Exactement comme en jouant aux échecs. C'est cela que nos opposants ne comprennent pas. Ils nous parlent de marronniers ou d'écologie réglementaire ou punitive, mais si le cheminement doux et vert de notre Plan Vert s'allonge aujourd'hui sur 27 kilomètres le long de l'Eure, c'est parce que sa conception et sa mise en œuvre ont effectivement démarré dès 2003. Nous ne les avons pas attendus pour développer cet élément de notre stratégie.
Pareil pour le sport de haut niveau. Certains se demandent pourquoi nous aidons particulièrement le basket féminin. Regardez le public du Colisée : l'assistance au basket féminin est plus nombreuse qu'au hand masculin, comparativement pourtant d'un plus haut niveau. Nous agissons ainsi parce que nous devons tenir compte des réactions rationnelles des gens, mais aussi essayer d'anticiper leurs réactions irrationnelles. Déjà à la Halle Jean-Cochet, nous avions constaté que dans le public du basket féminin, les hommes accompagnaient leurs femmes au match. Et que la réciproque était moins vraie dans le sport masculin. Anticiper…
VA : Certains autres, souvent en-dehors de l'Agglo, mettent en avant la prospérité économique de Chartres métropole pour commenter ainsi votre modèle : « Chartres métropole, ils font de la solidarité, mais c'est parce qu'ils en ont les moyens économiques »…
JPG : Contresens là encore ! Nous n'avons jamais démarché une commune pour qu'elle entre dans l'Agglo ! De la même manière, nous n'avons jamais démarché une entreprise pour qu'elle vienne s'installer ici ! Cela se faisait avant 2001, et c'était un échec.
La richesse économique n'est qu'une conséquence de l'action globale que vous menez. C'est tout votre système qui doit à la fois être dynamique et rester en équilibre. Ce n'est pas parce que vous avez un terrain disponible qu'une entreprise va venir chez vous investir. Ce n'est pas non plus parce que vos impôts sont raisonnables qu'ils vont vous choisir, même si une fiscalité confiscatoire dissuade évidemment. C'est tout votre écosystème – pour reprendre un mot à la mode – qu'un investisseur vient observer avant de prendre sa décision.
Quand une entreprise candidate et que nous engageons la discussion, les questions que ses représentants posent sont très variées. Quand, il y a des années, la station d'épuration alors installée à Lèves a montré qu'elle était en bout de course, malgré les certifications en tous genres vantées par son délégataire-exploitant, le préfet d'alors m'a clairement dit que notre stratégie de développement économique resterait du vent si nous ne construisions pas rapidement un nouvel équipement. Auquel se raccordent d'ailleurs progressivement les réseaux des communes qui ont le plus récemment rejoint Chartres métropole…
« Notre système doit à la fois être dynamique et rester en équilibre. »
Et c'est la même chose dans tous les domaines. Ceux qui envisagent de venir, les entreprises comme les particuliers, regardent la qualité de vos hôpitaux, celle de votre théâtre, de vos salles de spectacles culturels et sportifs. Ils examinent si votre parc des expositions est à la hauteur de votre rôle économique, etc.
J'ai connu des chefs d'entreprise qui se sont installés ici parce qu'ils étaient aussi pilotes, et que nous disposions d'un aérodrome modernisé. C'est également vrai des écoles et encore davantage des logements (et des logements de toutes catégories). Car dans les entreprises, et heureusement, il y a d'abord des gens, avec des familles et des enfants. Et quand des entreprises viennent, investissent, se développent, elles ne disent pas seulement aux personnels qui vont y travailler : venez à Chartres, vous aurez du travail et même un bon salaire. Elles doivent pouvoir leur dire : venez vivre ici, vous avez tout ce qui fait la vie des gens d'aujourd'hui. Car les conditions de travail ont évolué, les établissements de la Cosmetic Valley ou de la pharmacie ressemblent davantage à des labos high-tech qu'aux chaînes d'assemblage d'autrefois. Et les gens qui viennent y travailler ont besoin de tout ce qui va avec, en termes de qualité de vie.
Tout se tient et il nous appartient à nous les élus d'anticiper pour leur faciliter les choses. Et les entreprises nous le rendent bien. Elles paient des impôts économiques qui financent équipements et services publics, par exemple 85 % des coûts de fonctionnement des transport publics (BHNS, modernisation du Pôle Gare, etc.). Nous investissons, elles s'installent et se développent, elles paient des impôts, et ainsi de suite, le système percole…
« La santé et l'enseignement supérieur sont deux priorités auxquelles nous allons nous attacher davantage. Parce que tout se tient… »
VA : Donc, à vous entendre, tout va bien ?
JPG : La vie parfaite n'existe pas. Nous avons identifié au moins deux faiblesses. Elles ne sont pas de notre compétence politique et administrative, mais nous ne pouvons les ignorer ni attendre que la France se réforme... La première, c'est le manque de médecins et un problème plus général de santé en ville. Ce n'est pas nous qui avons inventé le trop célèbre « numerus clausus. »
La deuxième, c'est que notre pôle universitaire n'est pas encore à la hauteur des besoins de nos entreprises. Ce n'est pas nous qui avons manqué le coche du Plan Université 2000, décidé en son temps par Lionel Jospin. Voilà deux priorités auxquelles nous allons nous attacher encore davantage, parce que, je le répète, tout se tient.
VA : Vous soulignez sans cesse que nous devons améliorer notre attractivité. Qu'est-ce que c'est ?
JPG : Tout ce que je viens de vous dire ! L'attractivité, c'est la vie. Tous les éléments qui constituent ensemble le bonheur de vivre et de travailler ici. Car l'attractivité ne se divise pas. Et si en plus, par défaut d'anticipation, votre modèle est incomplet et ne fonctionne pas, c'est ailleurs que les gens iront le chercher.