Derrière le succès du Colisée, une stratégie à l'œuvre
Sur le territoire
-Publié le 24/06/2024
Grands projets
Les grands équipements ne se posent pas par magie. Quand les habitants s'y pressent, ils valident une stratégie poursuivie depuis plus de vingt ans. Les explications de Jean-Pierre Gorges, président de Chartres métropole.
Votre Agglo : Que vous inspire le succès du Colisée ?
Jean-Pierre Gorges : La réalité parle et les questions s'éteignent. Les critiques de même. Car ce sont les habitants qui donnent la réponse.
Mais le Colisée n'est que le dernier en date des grands équipements qui auront marqué l'avancée de l'Agglomération depuis plus de vingt ans.
Rappelez-vous : on parlait de Chartres et de son agglomération comme d'une « belle endormie ». Et soudain nous avons édifié de nouveaux équipements publics. Pourquoi si grands, nous disait-on ? Mes opposants me traitaient de Ramsès, stigmatisant ma démesure supposée en la comparant à celle des pharaons de l'ancienne Égypte, avec leurs pyramides gigantesques. À chaque étape, le reproche est revenu, pour s'éteindre ensuite dès l'ouverture : le parking, le conservatoire, le cinéma, la médiathèque, l'Odyssée, aujourd'hui le Colisée et très bientôt le parc des expositions…
Ces équipements ne sont pas trop grands, la preuve c'est qu'ils sont pleins. En son temps, nous avons même dû rapidement agrandir l'Odyssée et le cinéma.
« En 2001, tout ici était trop petit, ou plutôt rien n'avait bougé depuis près d'un siècle. »
VA : On vous qualifie aujourd'hui de « bâtisseur ». C'était une vocation ?
JPG : Notre situation l'exigeait. Certes, cela me passionne, comme de faire travailler des architectes de talent. En 2001, tout ici était trop petit, ou plutôt rien n'avait bougé depuis près d'un siècle. Et beaucoup s'interrogeaient sur le fait qu'il n'y avait qu'une seule entreprise dans le Jardin d'entreprises. Comment développer, comment créer de l'activité et de l'emploi ? Comment inverser la tendance, comment stopper le ronronnement, même agréable, du déclin ?
Soyons clair : ce n'est pas un équipement, même magnifique, qui est décisif. Il faut d'abord qu'il s'intègre dans une vision globale, dans une stratégie et un plan de financement. C'était l'enjeu quand nous avons imaginé notre Schéma de Cohérence Territoriale (SCoT). En 2001, c'était dans le cadre d'un Syndicat Mixte d'Études et de Programmation (SMEP) qui rassemblait déjà 39 communes, mais sans capacité d'action réelle. Car nos institutions aussi étaient trop étriquées : l'Agglo de Chartres n'en comportait que 7 et cette zone urbaine était entourée par d'autres communautés de communes qui avaient été créées en opposition. Leurs habitants vivaient de fait ensemble, mais étaient gouvernés les uns contre les autres.
« Nous avons construit notre stratégie fondée d'abord sur l'évolution prévisible de la démographie de l'agglomération, sur ses habitants et leurs besoins. »
Nous avons donc progressivement mis en place des équipements qui anticipaient l'élargissement inévitable, nécessaire, de l'Agglomération qui deviendrait Chartres métropole : le Conservatoire nouveau était conçu pour un rayonnement départemental. La médiathèque, financée par Chartres mais ouverte aux habitants de l'Agglo, remplaçait tous les projets de médiathèques (un dans chacune des 7 communes !) dont les maires respectifs avaient voté à l'unanimité la suppression.
Faute d'argent. C'est sur ce constat que nous avons construit notre stratégie fondée d'abord sur l'évolution prévisible de la démographie de l'Agglomération, sur ses habitants et leurs besoins. À tous les niveaux il fallait changer de dimension. Qu'est ce qui attire les entreprises, leur donne envie d'investir et de créer des emplois ? Ce n'est pas d'abord une question de niveau de fiscalité, c'est le dynamisme et l'attractivité d'une agglomération bien organisée qui s'appuie en outre sur un patrimoine de grande qualité non délocalisable.
« Un vrai potentiel économique, un espace sécurisé, des équipements de santé performants, des équipements culturels et sportifs d'aujourd'hui… »
VA : La démographie, et aussi la géographie ?
JPG : Une ville-centre, et une seule : proche de nous. Pas d'agglomérations concurrentielles : Orléans, Evreux, Le Mans, Paris, toutes ces villes-centres sont à 70 ou 80 kilomètres. Et nous pouvons donc tabler sur une « zone de chalandise » de 2 millions d'habitants qui peuvent regarder vers nous et même vivre avec nous si nous leur donnons l'envie de le faire : un vrai potentiel économique, un espace sécurisé, des équipements de santé performants, des équipements culturels et sportifs d'aujourd'hui…
Le rang d'une ville et d'une agglomération se mesure à cela. Ensuite, quand la confiance dans une dynamique s'installe, les habitants viennent s'y installer et les entreprises aussi, qui ont envie d'y investir.
Alors les zones d'activité se remplissent et les maires des communes rurales ou périurbaines ont envie d'adhérer à ce projet intercommunal qui avance. Parce que leurs habitants les y invitent : ils vivent avec nous.
Lors des obsèques d'un élu, il y a une douzaine d'années, je discutais avec d'autres élus dont une mère de famille dans un petit village à l'extérieur des limites de l'Agglo d'alors. Et cette femme a tranché simplement : oui à l'adhésion de notre commune. Rien que la gratuité du transport pour mes enfants justifie ce choix. La question des limites de Chartres métropole était réglée, même si elles peuvent encore évoluer à la marge. Sont dans l'Agglo les communes dont les habitants vivent ensemble au quotidien. À vue de clocher, autour des flèches de la cathédrale, comme nous avons l'habitude de le dire.
« Nous sommes une agglomération ambitieuse, mais pas une métropole où la vie des habitants devient compliquée. Une vraie ville de province. »
VA : Au vu de cette évolution, le Colisée n'est-il pas paradoxalement trop petit ?
JPG : Attention à la démesure ! Et c'est moi qui vous le dis ! Nous avions sur les terrains du Pôle gare l'espace disponible pour construire une salle culturelle et sportive de 10 000 places. Le succès immédiat du Colisée peut nourrir certaines illusions. D'autant que je suis persuadé qu'à partir de la rentrée les premiers spectacles susciteront le même engouement que les compétitions sportives.
Mais ce ne sont pas tous les jours les phases finales des championnats nationaux. Notre jauge doit se juger à l'aune d'une saison.
Après étude, nous avons préféré un équipement moyen qui puisse devenir un chaudron saturé. Les grands équipements réussissent quand ils vivent à plein régulièrement.
C'est vrai aussi pour le théâtre « Off », destiné aux troupes locales, sur l'avenue Jehan-de-Beauce. Nous sommes une agglomération ambitieuse, mais pas une métropole où la vie des habitants devient très compliquée. Une vraie ville de province.
« Nous ne sommes pas dans la rupture. Je n'y ai jamais cru. Nous devons conserver et faire bien vivre cet équilibre venu de l'Histoire. »
Regardez le Bus à haut niveau de service (BHNS) que nous commençons à installer : nous avions pensé au tramway, mais ce système ne s'équilibre financièrement à l'usage que dans une agglomération de 300 000 habitants au minimum. Si des habitants venus d'ailleurs font le choix de vivre à Chartres, c'est parce que cette agglomération est encore respirable, facile à vivre, où la zone urbaine se densifie mais doucement. Où la vie commerciale est équilibrée avec plus de 600 commerces répartis sur les 80 hectares du secteur historique sauvegardé. Nous ne sommes pas dans la rupture. Je n'y ai jamais cru.
Nous retrouvons seulement la continuité du développement d'une agglomération, d'une zone urbaine qui nous vient des Romains.
Cet équilibre venu de l'Histoire, nous devons le conserver, le faire bien vivre.
« Nous, élus, nous travaillons pour les habitants. »
VA : Quelle est votre satisfaction majeure ?
JPG : Quand les habitants, après avoir validé nos projets dans les urnes, les valident dans les faits, se les approprient.
Quand, par exemple ils viennent me voir pour mieux tirer parti des nouveaux équipements, et aujourd'hui du Colisée.
Quand des commerçants se mettent à étudier les heures des matchs ou des spectacles pour proposer davantage d'heures d'ouverture aux spectateurs après la fin des rencontres ou des concerts. C'est la manière positive de s'approprier l'outil. J'ai parlé du primat démographique. Nous, élus, nous travaillons pour les habitants. Ils sont la seule raison d'exister de nos collectivités. Ces habitants vivent sur un territoire et nous devons désormais gérer au mieux ces espaces urbains et ruraux.
Une loi récente nous impose de limiter au maximum l'artificialisation des sols. Quand on prétend réindustrialiser la France, ces limitations interrogent, c'est le moins qu'on puisse dire. Mais nous le faisons de nous-mêmes depuis des années. La revitalisation des 32 hectares du Pôle gare, c'est le recyclage d'une friche urbaine.
« Anticipation, continuité et cohérence, on y revient toujours. »
Quand le cinéma, et aussi le Colisée, s'installent en cœur d'Agglo, et non à l'extérieur, c'est autant d'espaces économisés, de dépenses de fonctionnement (transports, sécurité) évitées.
Quand nous reconstruisons des quartiers avec des immeubles équipés de parkings en sous-sol, ce sont autant de parkings extérieurs en surface rendus à la nature, aux jardins. Quand nous accueillons les nouvelles installations à venir de Novo Nordisk, dans la zone Poillot, nous le faisons sur des terrains déjà consacrés de longue date à l'activité industrielle. Le développement durable c'est aussi, et peut-être d'abord, cela. C'est une stratégie à définir, à penser et surtout à mener au quotidien, et c'est là souvent que cela devient complexe. Qu'il faut être bien organisé.
Anticipation, continuité et cohérence, on y revient toujours.