Trois compétences de l'État, trois priorités aussi pour l'Agglo
Votre Agglo
-Publié le 23/12/2024
Sécurité, santé, enseignement supérieur. Ces trois domaines de compétence sont du ressort de l'État. Pourtant, Chartres métropole a décidé d'investir, car ce sont des enjeux capitaux pour la vie des habitants de l'Agglo. Comme pour l'attractivité de celle-ci. Les explications de Jean-Pierre Gorges.
Votre Agglo : On vous sait très attaché au respect des domaines de compétence. Pourtant, les communes de Chartres métropole investissent de plus en plus dans la sécurité, la santé et très bientôt davantage dans l'enseignement supérieur. Pourquoi ?
Jean-Pierre Gorges : Chartres métropole a des compétences obligatoires, définies par la Loi, comme le développement économique. Et puis, d'un commun accord entre nos 66 communes, consacré par le vote du Conseil communautaire, l'Agglo a pris en charge des « compétences optionnelles ». Elles concernent notamment la gestion de nos réseaux : l'eau, les transports et maintenant l'éclairage public, où la solution et donc la bonne gestion ne peuvent se concevoir et s'exercer qu'à l'échelle de notre territoire commun. C'est l'évidence. La sécurité, la santé et l'enseignement supérieur relèvent effectivement de la compétence de l'État. Mais ces trois enjeux conditionnent non seulement la vie de nos concitoyens, mais font partie intégrante de l'attractivité de notre territoire. Les réalités ne laissent pas de place au juridisme souvent teinté d'idéologie. Regardez comme certains maires de grandes villes se dotent par exemple de caméras de vidéoprotection après les avoir longtemps refusées. Il ne s'agit pas de remplacer l'État, il s'agit seulement d'agir en collaboration étroite avec lui en apportant des moyens et des équipements qui répondent à l'attente des habitants.
VA : Tout ceci coûte de l'argent au budget de l'Agglo et des communes ?
JPG : La montée de l'insécurité, la menace de désertification médicale, la nécessité de former des gens compétents, nécessaires au développement économique en cours chez nous, ces trois enjeux engagent notre avenir commun. Or, chacun voit bien que l'État n'investit plus assez. Alors, nous n'allons pas attendre que la situation change, les débats budgétaires et financiers actuels montrant bien que l'État a du mal à répondre aux attentes de la population, notamment en matière de services publics essentiels. Et même si, comme le montrent nos statistiques récentes en matière de sécurité, la situation est sinon bonne du moins meilleure chez nous que dans bien d'autres endroits du pays, nous devons garder un temps d'avance, anticiper car rien n'est jamais acquis. Évidemment, toute notre action dans ces trois domaines ne peut se concevoir qu'en parfaite collaboration avec les autorités de l'État sur place. Même si elle fonctionne très bien pour l'heure, cette coordination est toujours perfectible. C'est vrai aussi pour la santé, où je préside depuis près de vingtcinq ans le Conseil de Surveillance des Hôpitaux de Chartres. Je n'y ai pas d'action exécutive, mais cela me permet d'avoir une vision claire de la situation et des besoins.… Quant à l'enseignement supérieur, j'ai reçu récemment le président de l'Université d'Orléans et nous définissons désormais ensemble les axes d'effort utiles. Notre agglomération est celle qui connaît dans la Région Centre-Val de Loire le plus fort développement économique, il nous faut en tirer les conséquences pratiques, en essayant de voir loin, et en s'appuyant sur les progrès considérables des nouvelles technologies, en particulier l'Intelligence Artificielle qui réduit les distances, élargit notre perception de la réalité et facilite l'adoption de réponses pertinentes. Comme je le dis souvent, l'important n'est pas ce qui va nous arriver mais bien ce que nous décidons de faire ensemble.
Même si la sécurité, la santé et l'enseignement supérieur sont du ressort de l'État, Chartres métropole investit dans ces domaines pour la vie des habitants de l'Agglo et son attractivité.
VA : Commençons par la sécurité. Les statistiques de Chartres en la matière sont plutôt bonnes ?
JPG : Le nombre des atteintes aux biens baisse de 23%, celui des agressions de 29%, celui des cambriolages de 40%. Ces « bons chiffres » viennent de loin. Dès 2001, nous avons créé à Chartres une véritable police municipale, engagé l'implantation de nombreuses caméras de vidéoprotection, édifié un centre de supervision - ces images étant ouvertes à la Police nationale et à la Gendarmerie nationale. Et comme la délinquance se moque des frontières administratives communales, il est vite apparu que l'Agglomération se présente toujours davantage comme l'échelle pertinente pour conduire une stratégie efficace dans la durée. Aujourd'hui, ce sont plus de 630 caméras qui maillent le territoire de l'Agglo et le nouvel Hôtel de Ville et d'Agglomération abrite un centre de supervision intercommunal ultra moderne. Ce n'est pas qu'un bâtiment, c'est le résultat de tout un travail de conception et de logistique : nos caméras, autrefois inégales dans leur performance, pouvaient tomber en panne et il fallait du temps pour les réparer. Aujourd'hui, la technologie nous permet une maintenance presque en temps réel. Et l'Intelligence Artificielle va bientôt nous permettre d'anticiper sur les menaces en identifiant à l'avance les comportements potentiellement délictueux. L'État et le gouvernement devront bien évidemment faire évoluer les lois pour que l'usage de ces nouveaux matériels reste bien dans le cadre des libertés publiques. Aujourd'hui, plus des 2/3 des 66 communes de l'Agglo sont branchées sur ce réseau. À l'évidence, nous progressons vers l'instauration d'une police municipale intercommunale, là encore selon le bon vouloir des maires de chaque commune. Mais tout le monde comprend qu'ensemble, on est plus fort, surtout face aux moyens considérables de la délinquance. Tout ceci est chapeauté par notre Conseil Intercommunal de Sécurité et de Prévention de la Délinquance et de la Radicalisation (CISPDR), qui réunit toutes les autorités qui « co-produisent » la sécurité commune : celle de l'État (préfet, procureur de la République, Police nationale, Gendarmerie nationale, Éducation nationale, Pompiers, etc.) et tous les maires. Même ceux de plus petites communes ont ainsi accès aux décideurs et aux informations utiles. Cette coordination fonctionne bien, elle peut encore s'affiner pour mieux anticiper l'évolution inévitable des menaces.
En matière de sécurité, l'Agglomération est l'échelle pertinente pour conduire une stratégie efficace dans la durée.
VA : La santé, maintenant. L'Agglo vient récemment de financer pour une large part un nouveau scanner, de nouveaux équipements de dialyse et aujourd'hui un nouvel échographe destiné à une nouvelle unité de cardiologie au sein des Hôpitaux de Chartres…
JPG : Je le répète : pas d'agglomération performante sans équipements de santé performants. Notre rôle en la matière est de donner le coup de pouce nécessaire, de fournir le + indispensable au progrès. Nous disposons du troisième hôpital de la Région Centre. Il a une bonne image justifiée, mais il n'en demeure pas moins que notre population augmente et que le nombre des médecins de ville diminue. La cardiologie que vous évoquiez en est l'illustration frappante. Le nouvel équipement servira tout à la fois aux traitements et aux urgences. Il fonctionnera en ambulatoire. Un système souple : vous entrez le matin, vous sortez le soir. Cela marche très bien, à la seule et unique condition de mettre en place des procédures de suivi fiables. L'autre enjeu, c'est la médecine de ville et le manque de médecins généralistes. J'ai dit et écrit ce que je pensais de l'absurdité de l'ancien numerus clausus, une parfaite illustration de la bêtise de toute philosophie de la décroissance. Reste que le problème demeure et ne se règlera pas en un jour. Avec le président du Conseil de l'Ordre des médecins, nous avons balisé une stratégie. Là encore, il s'agit d'utiliser au mieux les moyens technologiques nouveaux. Nous avons le projet de conduire l'installation de deux maisons de santé pluridisciplinaires. L'une dans le Pôle gare de Chartres, eu égard aux flux qui le traversent et à sa position centrale dans l'Agglo. Aujourd'hui, la « télémédecine assistée » ne laisse pas le patient seul devant un écran d'où lui parle un médecin lointain. Le malade est accompagné d'une infirmière qualifiée qui procède aux opérations que le médecin en ligne lui demande, et dont elle lui transmet les résultats en temps réel. Nous avons une autre maison de santé du même genre en projet, qui devrait être voisine cette fois des Urgences des Hôpitaux de Chartres au Coudray. Celles-ci seront de ce fait allégées des patients dont le cas ne répond pas aux critères de l'urgence proprement dite, mais qui ont simplement besoin de trouver un médecin disponible. Enfin, même si nous ne pouvons décréter la création de nouveaux médecins, il nous appartient d'encourager à s'installer chez nous les internes des hôpitaux qui passent par ici pour achever leur formation. Le retour d'expérience sur leurs conditions d'accueil doit permettre, nous l'espérons, d'inciter de jeunes médecins à rejoindre l'Agglomération : les transports, les logements, les places de crèche, les écoles, mais aussi les équipements culturels et sportifs, tous ces facteurs rentrent en compte dans leur décision… À nous d'être souples, de nous adapter aux besoins qui évoluent.
Deux maisons de santé pluridisciplinaires en projet.
VA : Dernier enjeu, l'enseignement supérieur…
JPG : Il ne vous a pas échappé que de grandes entreprises, et aussi de plus petites, investissent massivement dans notre agglomération, avec à la clé des centaines d'emplois qualifiés qui tirent l'Agglo vers le haut. Les titulaires de ces nouveaux emplois viendront de partout, mais nous devons être capables d'en former une part la plus large possible. Comme toujours, nous devons compter d'abord sur nos propres forces, en liaison avec les universités de la Région. Ainsi, nous devons inciter notre IUT à faire mieux et davantage, pour répondre au plus près des besoins en techniciens de la cosmétique, de la pharmacie et de l'agroalimentaire, liste non limitative. L'unité qui forme les ingénieurs Polytech doit en former davantage, tant est grand le besoin d'ingénieurs de production. J'ai eu récemment le président de l'Université d'Orléans : il mesure et comprend parfaitement l'importance de ces enjeux. Même si la Loi limite nos compétences et nos possibilités d'action en la matière, il existe mille et une manières de favoriser cette croissance nécessaire. Encore un travail de coordination et de suivi individualisé… De même, nos lycées doivent élargir leur gamme de classes préparatoires. N'oublions pas les ouvriers qualifiés : nous avons l'idée d'un HUB des Métiers. Il faut la préciser avec les partenaires intéressés.
VA : Vous ne manquez apparemment pas de projets ?
JPG : Je ne supporte pas que l'on place chaque projet dans une case indépendante de sa voisine. Tout se tient, tout doit aller de pair et surtout tout doit être engagé simultanément, car chaque projet connaît des aléas souvent imprévisibles dans sa réalisation. Raison de plus pour anticiper au maximum.